KROMOZOM
Octobre 1999
Propos recueillis par Martin GRANT
KROMOZOM : "Est-il vrai que l'on vous surnomme Jean de la Lune, parce que, paraît-il, vous avez souvent la tête dans les étoiles ?"
Jean GALFIONE
: (étonné) C'est vrai
j'avoue, que, parfois, je suis étourdi et un peu tête en l'air.
Mais, non, ce n'est pas mon surnom.
K. : Quels rapports entretenez-vous avec Maurice HOUVION, votre entraîneur depuis vos 15 ans ?
J. G. :
On est pas comme père et fils, mais on se voue une confiance
extrême. On partage tout dans cette aventure commune : les joies, les
tristesses et les coups de gueule. Nous sommes très proches. Je n'envisage
pas de travailler avec un autre. Sauf qu'il a soixante-cinq ans et, à
l'issue des Jeux olympiques de Sydney en 2000, il devra prendre sa retraite.
L'administration le chasse, c'est la règle. Alors j'espère
que Gérald BAUDOIN (ndlr, Champion d'Europe juniors en 1991) prendra
en charge le groupe. C'est un copain. Il passe son professorat de sport.
Ce serait une super transition. Reste que Maurice laissera un grand vide.
K. : Benjamin de la famille, c'est l'exemple de votre fratrie qui vous a incité à vous lancer dans le sport ?
J. G. :
Non, pas vraiment. Mon frère et ma sur n'ont jamais été
de véritables accros. D'ailleurs, il font tout autre chose : lui est
comédien et présente une émission sur la chaîne
Voyages, elle, est mère de famille (quatre enfants), après
avoir été mannequin. Nos parents nous ont un peu freinés,
quoique nous laissant pleinement exprimer nos passions, à la condition
de le faire à fond. Moi, c'est clair, c 'était le sport. D'autant
que, du point de vue scolaire, ça ne suivait pas vraiment...
K. : Vos parents sont d'authentiques as:
une mère internationale de gymnastique, un père ancien membre
de l'équipe de France d'escrime, et même un oncle, Jean-Claude
MAGNAN, champion olympique par équipe au fleuret en 1968 à
Mexico. Vous ont-ils incité à pratiquer le sport à haute
dose?
J.G. :
En réalité, j'ai appris
sur le tard qu'ils avaient été si brillants. A la maison, aucune
Coupe ni médaille ne traînait. Alors que mon père a
participé aux J.O. de Tokyo, en 1960 ! Je les remercie de ne pas m'avoir
conditionné. Et puis ils n'étaient déjà plus
sportifs quand je suis né et avaient basculé dans une autre
vie, un autre monde. K. : C'est plus tard que vous avez bifurqué vers le saut à la perche. Quels ont été vos sentiments initiaux en louvoyant avec l'instrument, dont le maniement implique des qualités d'athlète autant que de gymnaste? J. G. : J'ai immédiatement trouvé ça génial. J'adorais les sensations que ça me procurait. Le déclic s'est produit assez vite. J'ai vraiment pris conscience, non pas que ça allait devenir mon métier, mais que j'avais les capacités pour un niveau correct, quand je suis entré à l'INSEP, en 1988. Le record de France cadet était à 5,10 mètres et je n'estimais pas cela très élevé. Je me suis donc dit que je pouvais le battre. Quand j'ai effacé ce record, j'ai compris que la perche serait mon truc. |
K. : Après quoi sautez-vous ?
J. G.:
Je me contente de continuer,
inlassablement, ma progression. J'ai été champion de France
cadets, puis juniors. Là, j'avais encore l'impression de débuter,
d'avoir tout à apprendre. À partir de mes premiers meetings
internationaux, en 1991, je me suis rendu compte que j'étais vraiment
parmi les meilleurs, mais jamais je ne me suis fixé de limite. Maurice
a d'ailleurs une théorie sur les records, que je partage. Il est convaincu
que ce sont des références branchées dans la tête
des athlètes, qui leur servent de prisons et qu'il est besoin de pionniers
pour repousser les murs de ces prisons-là. Il ne faut surtout pas
se focaliser là dessus. Je ne me dis pas : "Maintenant, je vais tout
péter". Ça ne se passe pas ainsi. L'essentiel est de sauter
sans se poser de questions.
K. : Avant la perche, vous avez démarré par les épreuves combinées. Vous ne teniez pas à vous spécialiser?
J. G.:
Pas plus que ça. Je faisais
de tout dans mon club, porte d'Auteuil. En fait, j'étais moyen partout.
Je pense que j'aurais pu être un bon décathlonien. J'ai d'ailleurs
terminé quatrième des Championnats de France cadets à
Orange. En 1995, j'ai remis le couvert pendant trois semaines et l'année
suivante, au Décastar de Talence, où je me suis inscrit pour
rigoler, j'ai réalisé 5,75 dans l'épreuve de saut à
la perche de décathlon. Ce qui fait de moi le recordman du monde en
la matière.
K. : Selon vous, au regard de votre bagage
physique, auriez-vous pu réussir dans d'autres disciplines
I
J. G. :
J'ai pas mal joué au football.
J'ai même passé un an en club. J'étais attaquant ou ailier
gauche. J'avais une bonne détente, je courais vite, disposant d'un
bon coup d'oeil mais je n'étais pas un super technicien. Surtout,
je n'avais pas l'esprit d'équipe. Je me battais en permanence. Je
n'avais pas appris le collectif. J'ai rapidement arrêté, d'autant
que les matches avaient lieu le week-end, période où je partais
avec mes parents en Bretagne ma mère est bretonne et vit dans le
Finistère. Le foot, j'adore toujours ça. J'étais par
exemple au Stade de France lors de la finale de la Coupe du monde, face au
Brésil. J'avais été invité. Mais je
préfère jouer qu'être spectateur. N'importe quel sport
m'aurait convenu. Ce qui m'intéresse : me défouler. Et,
désormais, j'ai un bien meilleur esprit sur le terrain...
|
K. : Si la plupart des gens ont horreur du vide, on a le sentiment qu'au contraire, les perchistes le recherchent. Faut-il être casse-cou pour être perchiste?
J. G. : C'est vrai qu'on I'est tous un peu. A la perche, il faut aimer se faire peur, se livrer totalement, être ballotté dans l'inconfort pour approcher le danger. D'ailleurs, dans le saut, on se jette et on retombe la tête en bas. De manière générale, je goûte aux sports extrêmes et je roule dans Paris à moto, c'est pratique et, en plus, on se sent libre. La moto stresse moins, permet d'accomplir davantage de choses dans une journée.
K. : Ce qui vous apaise également, c'est la voile. Le large vous fascine ?
J. G. :
La voile, c'est génial. Ça
représente un instrument de liberté extraordinaire. Ah, larguer
les amarres, filer n'importe où, regarder les poissons et nager avec
eux. En mer, on est complètement dégagé des tracas.
La façon de vivre des marins me convient. Comme tout ce qui touche
au nomadisme. Ne pas avoir de port d'attache, voilà mon rêve.
La voile, j'en fais un peu l'été mais je ne suis pas un
spécialiste. L'an dernier, avec Pierre QUINON, Stéphane DIAGANA
(champion du monde du 400m haies) et trois autres copains, on est parti faire
du bateau aux Seychelles. Un super souvenir.
K. : Sillonner la planète à bord de vieux gréements, traverser l'Atlantique, ce sont des projets qui vous attirent ?
J. G. :
Bien sûr. Mais j'ai des millions
d'idées, comme par exemple retaper une ferme en Bretagne. Je viens
aussi de m'éclater un mois avec l'association Jules VERNE Aventures,
tournant un documentaire qui sera présenté en novembre au Festival
du film d'aventures, à Paris, à l'Institut Océanographique.
Une référence mondiale. J'y ai bossé sérieusement
depuis l'hiver dernier avec, en point d'orgue, ce reportage en Guyane. Nous
avons filmé la faune, la flore et les habitants de ce département
oublié. La Guyane regorge de contrastes, le Centre spatial voisinant
avec les lies du Salut, là où Dreyfus a purgé sa peine.
Etrangement, cela avait un côté poétique.
K. : Comment vous êtes-vous greffé
sur ce périple?
J. G. :
L'association m'a contacte après avoir su que j'appréciais
l'aventure, puisque ai été juré au Festival du film
d'aventures, à l'instar de Buzz ALDRIN, qui a marché sur la
Lune en 1969. Mais que je fus champion de perche, ils l'ignoraient, et c'est
tant mieux. Avec eux, je suis comme un gamin. Le projet était super
excitant et je n'ai pas hésité quand ils m'ont demandé
de les rejoindre. K.: Que recherchez-vous à travers une telle épopée et à ce Festival ?
J. G. :
A participer à l'interface
entre le monde des chercheurs au sens large et le grand public. Il existe
des tas de parallèles entre la science et la nature. On peut
bénéficier d'avancées technologiques qui ne détruisent
pas tout sur leur passage. Ceux qui vivent leur passion à fond
m'impressionnent, les explorateurs en particulier, tel le Suisse Bertrand
PICCARD, qui a réussi le tour du monde en ballon. Je l'ai rencontré.
C'est un mec bien, un gentleman, simple et humble. K. : Comme vous, en somme...
J. G. :
Le sport de haut-niveau et mes records
ne sont que poussière en comparaison de leurs exploits. Vraiment,
je le pense. Ce que je fais, c'est presque rien... C'est pourquoi il faut
constamment relativiser ce que l'on fait. Et, surtout, ne pas se laisser
griser par son image. |
K. : Comment vous êtes-vous greffé sur ce périple?
J. G. :
L'association m'a contacte après avoir su que j'appréciais
l'aventure, puisque ai été juré au Festival du film
d'aventures, à l'instar de Buzz ALDRIN, qui a marché sur la
Lune en 1969. Mais que je fus champion de perche, ils l'ignoraient, et c'est
tant mieux. Avec eux, je suis comme un gamin. Le projet était super
excitant et je n'ai pas hésité quand ils m'ont demandé
de les rejoindre.
K.: Que recherchez-vous à travers une telle épopée et à ce Festival ?
J. G. :
A participer à l'interface
entre le monde des chercheurs au sens large et le grand public. Il existe
des tas de parallèles entre la science et la nature. On peut
bénéficier d'avancées technologiques qui ne détruisent
pas tout sur leur passage. Ceux qui vivent leur passion à fond
m'impressionnent, les explorateurs en particulier, tel le Suisse Bertrand
PICCARD, qui a réussi le tour du monde en ballon. Je l'ai rencontré.
C'est un mec bien, un gentleman, simple et humble.
K. : Comme vous, en somme...
J. G. :
Le sport de haut-niveau et mes records
ne sont que poussière en comparaison de leurs exploits. Vraiment,
je le pense. Ce que je fais, c'est presque rien... C'est pourquoi il faut
constamment relativiser ce que l'on fait. Et, surtout, ne pas se laisser
griser par son image.
K.: 0K, mais avec l'omniprésence médiatique, on est tenté de contrôler son image ?
J. G. :
Avec l'âge et l'expérience,
je fais moins attention à ce qu'on écrit sur moi. Je ne me
soucie pas de mon image. Le jugement des journalistes, je n'en fais pas une
maladie. Ainsi, quand j'ai battu le record de France à Amiens en passant
5,98 m (ndlr, le 23juillet, Jean est parti discrètement dans la Somme
avec HOUVION pour se relancer avant les Championnats du monde), j'ai lu un
truc comme quoi je venais de sauver ma saison. C'est débile ! Outre
que j'ai été Champion du monde en indoor au Japon en mars,
j'ai passé trois fois 5,80 m. C'est quand même pas de la merde
Il a suffit de deux contre-performances à Charlety pour dire que j'avais
raté ma saison. Vrai que ça m'a angoissé un peu, aussi
près des Mondiaux, parce que Paris, c'est ma ville. Mais j'avais
confiance.
K. : On vous a aperçu frayer dans quelques campagnes publicitaires. Avec votre plastique, vous avez du recevoir un certain nombre de propositions?
J.G. :
J'en reçois beaucoup. Mais l'agence
Maryline m'aide à faire le tri. En fait, j'ai accepté de tourner
dans la pub Danette (ndlr, comme le footballeur de l'OM et champion du monde,
Robert Pires) et pour le parfum XXL de Daniel HECHTER ce sont les deux moins
cul-cul que j'ai eues ! Je prends le temps de bien choisir. En règle
générale, je n'aime pas trop ça et j'en fais le moins
possible. Il faut être honnête avec soi-même et faire en
fonction ce que l'on ressent, de ce que l'on aime. Je ne me sens pas la vocation
d'un comédien.
K. : Votre frère l'est, lui. Des réalisateurs ont-ils essayé de vous réunir ?
J. G. :
Je ne suis pas très à
l'aise devant la caméra, dès lors qu'il faut faire autre chose
que mon sport. Mais c'est vrai que j'ai eu des offres bizarres de gens voulant
réussir un coup en me faisant tourner avec mon frère. Je ne
me sens nullement comédien. Ça ne s'improvise pas, c'est un
métier très dur.
K. : L'athlétisme n'est pas
épargné par le dopage, en témoignent les "affaires"
Sotomayor, Christie, Mitchell ou Ottey de cet été.
Ce n'est pas décourageant, pour vous
qui vous battez pour un sport propre ?
J. G. :
Il est normal qu'on se pose des questions
quand on voit le flot de déclarations et d'affaires qui éclatent
dans autant de sports. En revanche, ça m'énerve que certains
médecins, a priori des gens compétents et intelligents,
entretiennent le doute et la suspicion en disant n'importe quoi. Ceux-là
devraient mesurer leurs paroles, ils ne se rendent pas compte des
dégâts que ça provoque dans le public. Les journalistes,
également, doivent se montrer vigilants, en ne mettant pas tout le
monde dans le même panier. C'est dangereux parce qu'à force,
les parents et les gamins ne vont plus croire en rien. Alors que le sport
de haut-niveau, ce n'est pas que des tricheurs. Même s'il y en a. K. : Passer 6 mètres, cela a changé votre vie ? J. G. : Forcément, c'est une hauteur qui parle à tout le monde. Il fallait la passer. Mais c'est loin d'être une fin en soi. |
K. : Que peut-on encore vous souhaiter, alors?
J. G. : De continuer à vivre des sensations fortes. Je ne pourrais pas le supporter, sinon. C'est pour ça que, je pense, je ne serai jamais comme Maurice, à entraîner durant des années. Pas ma nature. J'irai donc voir ailleurs comment ça se passe... Mais je n'oublierai jamais la plus belle chose que la perche m'a offerte : la liberté, le bien le plus précieux qui soit.