VO2 Athlétisme
1 nov-déc. 97
Propos recueillis par Odile BAUDRIER


VO2 Athlétisme : Vous avez 63 ans. Peut-on dire que, pour vous, l'enthousiasme d'entraîner est le même qu'à vos débuts?

Maurice HOUVION : L'enthousiasme est toujours là. Simplement je suis un peu plus sensible aux problèmes. Et je récupère un peu moins. Pour le reste, ça marche toujours.

Globalement quel type de relations voulez-vous entretenir avec vos athlètes? Des relations plutôt amicales ou plutôt filiales?

Filiales, non. Mais je suis extrêmement sensible, j'adore mon métier et j'aime bien qu'on m'aime ! Je veux que les garçons et les filles maintenant me fassent une confiance presque totale. Et qu'ils aient pour moi une certaine tendresse.

C'est un peu une quête affective?

Oui. Vous savez, si on réfléchit bien, le sport, c'est quoi? c'est un jeu. On joue. Mais est-ce que ça vaudrait rien que pour le sport la peine de passer toute une vie de passion? Non. Cela doit s'accompagner de relations humaines privilégiées, d'une ambiance que l'on ne peut pas retrouver ailleurs.

Sur ce plan là, vous estimez que votre groupe actuel vous apporte beaucoup?

Oui. Déjà pour une raison essentielle, c'est que le leader , Jean Galfione , est un type bien. Alors si j'ai fait une mise au point hier, c'est parce qu'il y a renouvellement dans le groupe. Et ce renouvellemnt amène des individus nouveaux, qui ne connaissent pas nécessairement le fonctionnement de l'affaire et je crois qu'il faut refaire l'histoire du groupe et le fonctionnement du groupe.

Sur le plan des performances, l'année 97 n'a pas été très bonne. Diriez-vous que c'est l'une des pires de votre carrière?

Au non surement pas. Mias je sors d'une année 96 où l'on a un champion olympique, c'est fabuleux. L'année 97 n'et pas mauvaise en fait mais simplement nos Championnats du Monde n'ont pas été réussis. J'en connais les raisons. Mais on a gagné les Jeux Méditerranéens, les Universiades, ce qui est remarquable, avec Lacheeb qui a fait 5,70m et les Jeux de la Francophonie. J'ai aussi Caroline qui a battu le record de France. Dans l'ensemble il n'y a que 2 ou 3 athlètes qui n'ont pas battu leur record. Ce n'est pas mauvais. Mais ça me laisse un gout d'inachevé, simplement parce que je m'étais habitué à jouer les premiers rôles partout.

Même en tant qu'entraîneur, vous trouvez que c'est valorisant d'être devant?

Oui, oui ! On est entraîneur et non moins homme. Ce qui veut dire que je suis probablement aussi orgueilleux que les athlètes. Si je n'y attache pas une importance primordiale, primordiale, je veux dire qu'il y a d'autres choses dans la vie plus importantes que le résultat brutal; toute ma démarche tend tout de même à avoir les meilleurs résultats possibles.

Comment êtes-vous devenu entraîneur?

Je le suis devenu en 1966. J'étais athlète. J'étais dans l'équipe de France et il n'y avait plus d'entraîneur national et Robert Bobin m'a demandé de prendre ce rôle. J'ai hésité un bon moment car j'avais un contrat avec ma femme qui stipulait que quand j'aurais fini ma carrière d'athlète , je consacrerai plus de temps à ma famille. là c'était la carrière d'athlète qui se prolongeait à travers d'autres. Avec les mêmes contraintes...j'ai accepté !

Quels grands moments retenez-vous de ces 30 ans?

Beaucoup ! Vous savez, j'ai eu de la chance de commencer ma carrière et d'avoir un titre de record d'Europe très vite; avec Hervé d'Encausse qui a été recordman d'Europe en 1967 et en 1968, avant de s'arrêter pour reprendre 4 ans après. Je me suis dit maintenant ça va être les vaches maigres ! Et puis j'ai eu la chance de tomber sur un aute garçon , François Tracanelli, qui était cadet et qui en un rien de temps, devient recordman du monde de sa catégorie, champion d'Europe toutes catégories. Après j'ai eu un passage sans réelles pointes internationales mais avec beaucoup de titre de champion de France. Puis j'ai eu mon fils qui a été recordman du monde, cela a été un grand moment. J'ai eu Salbert qui a fait de bonnes choses et puis Jean. J'ai pleins de bons souvenirs. Et je n'ai pas envie de jeter quoi que ce soit, même les mauvais moments. Car il y en a eu ! Mais ceux là je ne m'en souviens plus..On a une faculté qui est fabuleuse, de conserver les bons souvenirs et de pouvoir rejeter au fond de la mémoire les mauvais.

Diriez-vous qu'un bon entraîneur est celui qui a de bons athlètes ou bien qu'il y a un vrai talent d'entraîneur?

Le bon entraîneur estcelui qui a un vécu d'entraîneur, qui a l'éthique de l'entraîneur. Parce que j'estime que c'est un métier dans lequel on n'a pas le droit de faire n'importe quoi. On travaille avec des hommes et des femmes. On les influence. J'estime qu'on a une lourde responsabilité. Humainement les résultats ont peut être peu d'importance ; quand on parle d'influence , on peut avoir une influence sur des gens qui ne sont que champions régionaux.Maintenant le top c'est tout simplement la satisfaction de quelque chose qu'on a bien fait. Et puis j'étais compétiteur et je le demeure comme entraîneur.

Selon vous quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon perchiste?

IL faut un ensemble de qualités très larges. La qualité essentielle c'est d'aimer cette spécialité, d'être passionné par elle. Sur le plan physique, il y a des qualités de vitesses-détente et de coordination. On pourrait résumer le portrait type d'un sauteur à la perche : c'est un sauteur-coureur-gymnaste. Avec en plus un mental encore supérieur que dans les autres spécialités pour la bonne raison que l'attitude mentale a une influence directe sur la technique.On cherche à être vers l'avant à l'arrivée dans le butoir, au moment du décollage, pour diriger toutes ses forces vers l'avant. Si on n'a pas la détermination suffisante au moment du saut ça se termine par un recul des épaules et un redressement et une mauvaise attitude technique.

Ces générations que vous avez vues défiler, ça vous a conforté dans l'idée qu'on peut réussir sans dopage?

Alors oui, c'est mon credo. je suis absolument persuadé, les athlètes que j'entraîne aussi, que c'est réalisable d'être le meilleur sans se doper. Simplement ça demande un peu plus de temps de concentration. Et on pourrait considérer que c'est un peu moins régulier. Jean , par exemple, qui arrive à se concentrer sur des grands évènements, n'est pas performant dans tous les meetings car il a besoin de décompresser à certains moments. S'il était dopé, il le serait tout le temps.

Finalement si on fait un bilan de ces trente années, est-ce une vie que vous aviez rêvée étant plus jeune ou est-ce différent?

Je ne sais pas.Je crois que c'est dans ma nature et que si je n' avais pas fait ça, j'aurais fait autre chose avec la même passion. Je ne conçois pas de pouvoir vivre ou exercer une activité sans être passionné. C'est quelquefois d'ailleurs difficile de vivre car la passion on peut considérer que c'est la mère de tous les excès et que c'est difficile à vivre. Quand cette passion est unique, on est fragilisé à un niveau important. Si je me suis mis à faire de la sculpture, que j'ai trouvé une autre passion, c'est justement pour contrer l'autre. Parce qu'à certains moments, on vit tellement intensément cette affaire-là que c'est difficile.Cela l'est également pour l'entourage. Je suis persuadé que ma femme, même mes enfants, ont souffert de ma manière de vivre. Je m'en rends compte parce qu'actuellement j'écris, à travers mes expériences. C'est une sorte de psychanalyse . Je n'ai pas été voir un psychiatre, je fais ma psychanalyse tout seul. Mon objectif est de publier ça à compte d'auteur, avant mon départ et de l'offrir aux gens que j'ai cotoyés. De telle manière qu'ils puissent savoir comment j'ai fonctionné, qu'ils puissent comprendre. Je pense notamment à mes enfants et à ma femme. Je n'ai jamais emmené ma femme en vacances...ce n'est pas que je n'avais pas envie mais parce que je n'ai jamais pu prendre suffisamment de temps pour pouvoir partir. Je ne sais pas me sortir de là...