L'Humanité
24/03/99
Galfione, fils de l'air
Propos recueillis par Damien Lesur


ATHLETISME. Après son nouveau record, le perchiste français ouvre à vingt-sept ans un nouveau chapitre de sa carrière.
Galfione : " Je ne suis pas une vedette ".
Galfione a pris de la hauteur
La gloire, la motivation, le CIO, le dopage... Le champion olympique prend de la hauteur. Entretien.

Un nouveau record à six mètres, une saison en salle pleine avec un titre de champion du monde... On en a beaucoup entendu parler de Jean Galfione cet hiver. Cela vous fait-il du bien après deux années difficiles ?

En fait, je suis surtout... fatigué. Je suis parti il y a quelques jours pour un stage de repos à Granville. Au lieu de ça, je rentre crevé car c'était journaliste sur journaliste, conférence sur conférence. Les six mètres du Japon sont tout chauds. Les gens avaient envie de me voir, de savoir. C'est normal. Mais c'est presque à te faire regretter de passer une telle barre. J'exagère, mais à Granvillle, il y avait tellement de monde que cela devenait pesant. J'étais dans ma baignoire à la thalasso, il y avait une caméra. Je pêchais les bigorneaux, pareil... C'est gonflant à la longue.

Cette mise en lumière auquel vous êtes pourtant habitué commence-t-elle à vous peser ?

Je ne le vis pas mal mais je ne me considère pas comme une vedette. J'ai surtout l'impression que ces campagnes médiatiques m'apportent de moins en moins. C'est très unilatéral : je donne beaucoup mais je reçois peu. Et puis j'en connais les pièges. Après la gloire aux Jeux d'Atlanta, les blessures et les contre-performances sont venues car je me suis éparpillé. Je n'étais plus motivé, alors que d'habitude je suis du genre bagarreur. Maintenant que j'ai vu les deux facettes de ce sport, je n'ai plus envie de me faire bouffer.

Avec ce nouveau record, votre carrière entame-t-elle un nouveau chapitre ?

Oui, un peu. Cette barre des six mètres était obsédante à force de l'évoquer. Comme elle n'arrivait pas, je finissais par y penser. En plus, dès que je parlais de perche avec quelqu'un il me disait : " Alors, ces 6 mètres ? " Maintenant c'est fait, je connais enfin cette barre. Un impact psychologique a eu lieu. Mais il me reste d'autres défis car six mètres c'est beau mais ce n'est pas extraordinaire. Je ne veux pas être un fonctionnaire à 5,90 ou 6 mètres. L'objectif ce n'est pas d'être régulier... même s'il le faut, mais progresser. Si je ne dois pas aller plus haut jusqu'à la fin de ma carrière, je peux ranger les perches et tout arrêter. Non, il y a encore beaucoup de choses à accomplir : les championnats du monde à Séville en août prochain, devenir le deuxième homme le plus haut de tous les temps derrière Bubka, défendre mon titre olympique à Sydney en 2000.

Pensez-vous au record du monde, 6,14 m ?

Cela me semble aujourd'hui inaccessible. Il faut encore une étape avant d'y arriver. Mais ça me motive. Je ne veux pas avoir peur de m'y attaquer. Je veux que les gens y croient avec moi. Et qu'on me laisse y croire.

Parfois, on a dit que vous étiez trop gentil. Cela vous a-t-il agacé ?

Non, je ne l'ai jamais ressenti comme cela. Parfois je suis trop gentil, c'est vrai. Mais sur un stade je n'ai jamais été tendre. J'ai compris que dans la vie et sur un stade, il fallait être deux personnes différentes.

Quand on a réalisé six mètres, fait-on peur aux autres perchistes ?

Ils me connaissent bien. Depuis l'année dernière, ils savent que je suis régulier à plus de 5,80 m dans presque tous les gros meetings. J'ai de plus battu mon record de France à 5,97 m. · la limite, c'était presque anormal que je n'ai pas passé 6 mètres par rapport à d'autres. Maintenant, peut-être qu'un facteur psychologique va jouer en ma faveur...

En ce moment, l'actualité sportive se trouve à la rubrique Faits divers, comment réagissez-vous ?

Ça fait mal, parce que le sport, ce n'est pas cela. D'un autre côté, je me dis que tout est très exagéré. Pour le dopage, par exemple, les tricheurs sont heureusement minoritaires. Quant aux affaires de corruption du Comité international olympique, je ne me sens pas concerné. Le CIO et l'IAAF (Fédération internationale amateur d'athlétisme, NDLR), ce n'est pas notre " truc ", à nous sportifs. Ce sont des institutions qui ne nous concernent pas. Avec l'IAAF, j'ai très peu de contacts. Quand il y en a, les personnes qui en font partie te font comprendre que ce n'est pas toi qui fais l'athlétisme. Je ne crache pas sur ces gens-là, ils ne m'enlèvent rien et ne m'apportent rien ou presque. Mais nous ne sommes pas dans le même monde.